À fin d’expérience, Daphnée, Leïka et Laurence se sont penchées sur des textes générés par le système du site http://enneagon.org/phrases, un générateur construit basé sur le principe des chaînes de Markov, et qui engendre des phrases à partir d’une base de données composée en grande partie de romans du XIXe siècle.Voici un des textes générés qui a servi de base.
Manière dont elle baignait ma plaie ; j’étais glacée de peur ! Sans l’aide de son couteau de chasse, avec des fers qui brillaient au loin mille croisées éclairées, et il songeait avec désespoir que nous avions déjà parcouru un grand espace blanc. Formé par moi, ni par son instrument. Aurez-vous le secret espoir de recueillir de leur victoire.
Comment interpréter cet amas de phrase à la syntaxe et aux liens sémantiques douteux ? Les trois artistes se sont toutefois attardées sur les images surprenantes créées par le générateur, et ont repris les idées confuses du texte, le tout à leur manière.
Inondée de sang
Glacée de peur
Trop loin déjà pour rebrousser chemin
Aurais-je l’audace
D’espérer
–Daphnée
À l’intérieur de sa peur
elle recueillait les fers
et les mille croisées
formés par sa plaie
secrète
désespérée
elle songe, songe encore
aux vastes plaines
blanchies
chasse l’instrument
couteau brillant
qui glace
et à sa manière
fait baigner
le sang
– Leïka
À première vue, tout était blanc. Pourtant, tout était rouge, ensanglanté. J’avais peur, car je ne savais pourquoi elle m’avait laissé ici, seul et sans repère. Couché dans la baignoire, je souffrais, je ne me souvenais de rien. Paralysé par la terreur, je n’avais rien pour me défendre. J’étais faible, terriblement faible, lorsqu’elle entra dans la salle de bain; mon sexe à la main.
– Laurence
Voici d’autres textes générés que nos auteurs se sont plu à colorer de leur sensibilité et de leur imagination !
Esprit créateur, qui ondoies autour du vaste bûcher, tantôt disparaissant de la terre d’autorité si respectable en elle-même, quoiqu’elle vînt, hélas ! Perpétuellement occupé à chercher les nonnes, ayant fait une partie. Lundi prochain je vais en outre devoir supposer que le fait ne fut jamais roi, l’essentiel est la pensée de son enfant. Supposons que je le suis à croire qu’il avait tenté de se retirer et s’avança vers les bûchers surmontés de leurs potences. Approche donc seul, blessé, compromis, j’ai peur que non, tant que l’éclosion du soupçon dans ce cœur blessé que par la tête ?
Dieu erre et vacille de la terre aux cieux, cherchant à inscrire chez ces pauvres nonnes sa parole et son verbe fait chair. Mais ces dernières, victimes de leur statut, ne peuvent qu’espérer voir le temps passer plus vite, autour d’une partie d’échecs. Quelques pions fous, un roi, une reine, voilà ce qu’il leur faut pour chasser l’ennui mortel qu’est celui de prêcher la parole d’un Père absent et muet. Il est facile pour lui de clamer s’être avancé parmi la cohue et avoir bravé la mort lorsqu’il est impossible de déterminer si jamais il ne fut. Les nonnes, cloîtrées entre des murs hauts et dans leurs habits pudiques ont soudainement peur, et chacune, silencieusement, tait les soupçons qui la dévorent depuis trop longtemps, déjà.
– Daphnée
Concours médiat ou immédiat de tous les matois, où donc êtes-vous allé quand vous m’en parlez pas ! Enchantés de nous retrouver de plus en garnison, mais leurs bateaux continuent à débarquer sur la plate-forme rocheuse. Malade, il n’essaya pas de cacher qu’il vous empêchera d’avoir le second prix. Laissez-le aller, dit à son tour de promenade dans le couloir.
Il y avait des roches à perte de vue. Je ne me rappelle plus à quoi ressemblait la montagne derrière. Y en avait-il une? Ou un ciel peut-être? Je ne le sais plus. Seulement les roches me reviennent à l’esprit. Elles ressemblaient à la collection de ma belle-mère: brillantes et rougeâtres. Puis, soudain, un bateau est débarqué là, devant moi. Il tentait de naviguer, encore, mais en vain, sous la plate-forme rugueuse. Aucun mouvement n’était possible. Il demeurait prisonnier, comme un malade dans sa maladie. J’ai alors murmuré mon enchantement au matois, car j’avais toujours rêvé d’embarquer sur un navire. Mais le matois m’a immédiatement empêché de monter sur la promenade. Il m’a caché les yeux et m’a crié de le laisser aller. J’ai continué mon acharnement. Où le bateau pouvait-il aller, puisque piégé? À son tour, il m’a parlé doucement des garnisons et j’ai compris le prix à payer. Je suis donc resté sur la roche. Je ne voulais pas errer dans le couloir entre ma première et seconde vie. Le matois a quitté, me laissant là. Je n’ai pas essayé de le suivre. J’ai plutôt regardé longtemps le bateau échoué avant de gravir les autres roches et peut-être la montagne et peut-être le ciel.
– Leïka
Dormir tout du long à notre hauteur : cramponné au collier, ivre de colère, au moment du souper. Riez tant qu’il y eût engagé toutes ses forces. Car pour moi, elles me paraissent devoir l’emporter sur l’amante.
Accroche-toi à mes perles, mord-moi, dévore-moi, mais surtout désire-moi. Désire mon corps comme tu l’as désiré il y a de cela vingt ans. Je ne suis plus belle, j’ai vieilli, mais je suis la même. Je porte le même amour que je portais, il y a vingt ans. Ce sont les mêmes perles que tu m’as offertes il y a vingt ans. Et pourtant, tu ne me sers plus le vin comme tu le faisais, alors que je te sers tes plats favoris tous les soirs avec autant d’amour. Tu ne m’embrasses plus de la même manière avant de quitter la maison. Tu ne me regardes plus de la même façon alors que je me glisse dans ma robe de soie blanche, car je sais qu’elle la porte mieux que moi, qu’elle est plus belle que moi, qu’elle est plus jeune que moi.
– Laurence
Par ailleurs, les deux voies, la circulation des trains habituels s’arrêtât ! Correct sur les deux murailles visqueuses du corridor. Puis la porte se leva, passa aux frais de la guerre du bien public. Écris avec du sang aux mains.
Dans le train depuis ce matin pour un rendez-vous d’affaires importants. Tout à coup, le train dans lequel je me trouve s’arrête brusquement. Sérieusement? Je n’ai vraiment pas le temps d’être en retard! Pour la première fois depuis la matinée, je lève le nez de mon journal : par la fenêtre, j’aperçois deux murs surplombant le train. Ce mur semble suinter… Au bout d’un moment, je me remets à ma lecture, quoique encore troublée par cette muraille qui me donne l’impression d’être captive dans ce train pourtant tout ce qu’il y a de plus en plus normal. Je quitte ma lecture de nouveau, lorsque j’entends un bruit sourd provenant de l’extérieur. Au centre de l’un des murs, une porte que je n’avais pas remarquée s’ouvre petit à petit. Je passe la tête par la fenêtre de mon compartiment pour tenter de mieux comprendre ce qui se passe. D’où je suis, j’entends de longs râles provenant de la porte nouvellement entrouverte. Tout ceci devient affreusement glauque! Je frissonne et commence à être saisie d’angoisse. Que se passe-t-il donc, ici? Je vois soudainement une horde d’individus s’échapper de la brèche nouvelle. Ceux-ci rampent, vacillent, trébuchent dans un chaos sans nom. Je suis soudainement horrifiée : leurs mains ainsi que leurs vêtements en loque sont maculés de sang…
– Daphnée
Penses-tu avoir fait les distinctions nécessaires, ce beau champ fleuri de miracles, de couler eux-mêmes la lessive. Avait-on le droit de succession, contre lequel il était tombé sous son cou.
Mousse de lessive
coule nécessairement
sur eux-mêmes
Succède-moi
à mon champ distingué
de fleurs sales
mais droites
qui coulent aussi
contre ta beauté
contre ton cou
sur lequel tu tombes
et retombes sans cesse
on croirait au miracle
ne penses-tu pas?
– Leïka
Est-elle bête, ma femme, elle est éveillée maintenant. Repasse dans une heure peut-être passa, quoique cela puisse paraître à qui en sait plus long sur vous et moi… Bordel, mais quelle lamentable famille en détresse !
Moé, j’viens d’une famille de farmers. Ça fait que j’aime ça les vaches, les cochonnes et les chiennes. Tu comprendras que ma femme c’est une vraie : une vraie vache. J’peux te dire qu’il lui arrive aussi d’être une vraie de vraie chienne, ça c’est l’enfer. Mais quand a se décide, le soir, a devient une maudite cochonne, c’est l’enfer. C’est la femme parfaite, j’te dis! Tu trouveras pas mieux dans les environs.
– Laurence
On voit donc qu’en harmonisant la syntaxe, en épurant ou en réécrivant les phrases, il est possible d’arriver à un résultat intéressant. Les trois écrivaines sont arrivées à évoquer des univers très différents, tous chargés d’une poésie intrigante. À la lecture, on a l’impression d’être saisi au coeur d’un récit, ce qui entraîne l’esprit dans l’extrapolation des éléments manquants de l’histoire. Le principal atout du générateur de textes est de forcer l’imagination. Il entraîne le créateur dans des zones où il ne serait jamais allé, et ce procédé rejoint en ce sens le surréalisme, qui avait pour but de libérer la création de l’intention, et de laisser parler l’inconscient de l’artiste pour que les oeuvres réussissent à saisir des vérités profondes sur l’art et sur la vie. Les générateurs vont plus loin que les écrivains surréalistes dans ce qui relève de l’étrangeté des textes produits.